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10 juillet 2020
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DataJust, Dommage corporel, Droit, Handicap, Indemnisation, victime
« DATA (IN)JUST OU LA FIN DU PRINCIPE DE L’INDEMNISATION INDIVIDUALISÉE »

 Qu’est –ce que  DATAJUST ?

DataJust est un projet de justice prédictive qui accompagne le projet de réforme de la responsabilité civile. Le décret, passé discrètement en application le 30 mars 2020, soit en début d’instauration de l’État d’urgence sanitaire pour une durée de 2 ans inaugure « un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « DataJust », ayant pour finalité :

  • le développement d'un algorithme destiné à permettre l'évaluation rétrospective et prospective des politiques publiques en matière de responsabilité civile et administrative,
  • l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels,
  • l'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges,
  • ainsi que l'information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels.

Le décret définit les finalités du traitement, la nature et la durée de conservation des données enregistrées ainsi que les catégories de personnes y ayant accès. Il précise enfin les modalités d'exercice des droits des personnes concernées. »

Selon le site « entrepreneur-interet-general.etalab.gouv.fr » cet algorithme combine les extraits de l’ensemble des décisions de justice rendues en appel concernant les préjudices corporels des bases de données JURICA (Cour de cassation) et ARIANE (Conseil d’Etat) contenant respectivement toutes les décisions de justice civiles rendues par les cours d’appel de l’ordre judiciaire, ainsi que tous les arrêts motivés des cours administratives d’appel, notamment dans les contentieux de la responsabilité hospitalière ou de la réparation des dommages survenus sur la voie publique. Ces données sont extraites  des décisions de justices rendues en appel relatives à l’indemnisation du préjudice corporel, du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019.

Il va ensuite recenser, grâce à un algorithme, les montants alloués aux victimes à titre d’indemnisation des différents chefs de préjudice corporels listés dans la nomenclature dite « Dintilhac ».

Il se base également sur les propositions des compagnies d’assurances et les montants transigés par voie amiable.

L’objectif est d’élaborer un référentiel indicatif d’indemnisation diffusé au public et aux professionnels. »

Les données récupérées :

Selon l’article 2 du décret

« Elles peuvent comporter des données mentionnées à l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée et sont constituées par : 1° Les noms et prénoms des personnes physiques mentionnées dans les décisions de justice, à l'exception de ceux des parties. Il est interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données ; 2° Les éléments d'identification des personnes physiques suivants : la date de naissance, le genre, le lien de parenté avec les victimes et le lieu de résidence ; 3° Les données et informations relatives aux préjudices subis, notamment :

- la nature et l'ampleur des atteintes à l'intégrité, à la dignité et à l'intimité subies, en particulier la description et la localisation des lésions, les durées d'hospitalisation, les préjudices d'agrément, esthétique, d'établissement, d'impréparation ou sexuel, les souffrances physiques et morales endurées, le déficit fonctionnel, ainsi que le préjudice d'accompagnement et d'affection des proches de la victime directe ; - les différents types de dépenses de santé (notamment frais médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation) et d'aménagement (notamment frais de logement, d'équipement et de véhicule adaptés) ; - le coût et la durée d'intervention des personnes amenées à remplacer ou suppléer les victimes dans leurs activités professionnelles ou parentales durant leur période d'incapacité ; - les types et l'ampleur des besoins de la victime en assistance par tierce personne ; - les préjudices scolaires, universitaires ou de formation subis par la victime directe ; - l'état antérieur de la victime, ses prédispositions pathologiques et autres antécédents médicaux ;

4° Les données relatives à la vie professionnelle et à la situation financière, notamment la profession, le statut, les perspectives d'évolution et droits à la retraite, le montant des gains et pertes de gains professionnels des victimes, ainsi que des responsables ou personnes tenues à réparation ; 5° Les avis des médecins et experts ayant examiné la victime et le montant de leurs honoraires ; 6° Les données relatives à des infractions et condamnations pénales ; 7° Les données relatives à des fautes civiles ; 8° Le numéro des décisions de justice. Ces données sont transmises par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice. Elles sont extraites des bases de données tenues, d'une part, par la Cour de cassation en application du deuxième alinéa de l'article R. 433-3 du code de l'organisation judiciaire et, d'autre part, par le Conseil d'Etat. Les noms et prénoms des personnes physiques parties aux instances concernées sont occultés préalablement à leur transmission au secrétariat général du ministère de la justice. »

Qui y aura accès ?

Selon l’article 3 du décret :

« Seuls ont accès, à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, aux données à caractère personnel et informations enregistrées dans le présent traitement : 1° Les agents du ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice, individuellement désignés par le secrétaire général ; 2° Les agents du bureau du droit des obligations individuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau. »

Création d’un référentiel d’indemnisation

Quel problème soulève la création de cet algorithme ?

L’indemnisation n’est plus évaluée individuellement c’est –à –dire en fonction des besoins et du projet de vie de la personne mais simplement calculée par un algorithme qui ne tiendra pas compte de la particularité de chaque situation, au risque d’uniformiser l’indemnisation et d’y soustraire la valeur ajoutée au droit français qu’est la une réparation intégrale du préjudice.

L’uniformisation du droit à indemnisation va soustraire l’intérêt de recourir à la justice pour favoriser la transaction afin de désengorger les tribunaux et d’écourter le délai d’obtention d’une indemnisation , mais au détriment du justiciable dont la blessure sera réparée froidement par l’attribution d’une somme fixe, sans ouvrir la voie à une réflexion humaine sur le rétablissement  « aussi exact que possible de l’équilibre détruit par le dommage et replaçant la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit . »

D’autre part, en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice le magistrat doit apprécier le préjudice le jour où il statue. Le décret va mettre en place un outil  qui fait référence à des décisions passées et anéantit cet impératif temporel. Enfin, il ne met pas en question le principe d’individualisation de l’indemnisation, seul moyen de parvenir à une réparation intégrale.

Enfin, il porte atteinte au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Vague de protestation du CNB

 Le 31 mars 2020, la présidente du CNB, la présidente de la Conférence des bâtonniers, Hélène Fontaine, et le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, font part au Garde des Sceaux de « leur surprise et de leur incompréhension ».

Nicole Belloubet déclare que la publication du décret « DataJust » est une « erreur temporelle ».

Le syndicat de la magistrature adresse le 3 avril 2020 une lettre ouverte pour demander au Garde des sceaux une parfaite transparence  sur les conditions d’élaboration du traitement automatisé des données à caractère personnel et de l’algorithme

« EXIGE :

  • que des garanties propres à assurer une protection des droits et libertés fondamentaux des personnes soient mises en œuvre, et notamment une information générale publique rédigée en des termes simples et accessibles à tous,
  • que le gouvernement précise en quoi les données concernant les professionnels du droit revêtiraient une utilité pour atteindre l’un ou l’autre des objectifs affichés par le décret
  • que le Conseil national des barreaux soit associé aux travaux de conception de l’algorithme, actuellement en cours, afin d’en garantir la transparence et l’absence de biais,
  • que des garanties propres à assurer un accès équitable aux résultats qui seront produits par l’algorithme soient apportées par le gouvernement à l’ensemble des professionnels du droit, afin de préserver l’égalité des armes.
  • que les avocats aient accès à la logique décisionnelle qui sera mise en œuvre par l’algorithme. »

La réaction des associations de victimes et de personnes en situation de handicap

Des associations de victimes ont d’autre part signé une motion commune pour faire part de leur crainte de l’élaboration d’un référentiel. Elles rappellent en particulier que c’est en pleine crise sanitaire, « au moment  où l’attention devrait se concentrer sur le soutien à apporter aux plus fragiles, le Gouvernement publie un texte qui ne présente aucun caractère d’urgence et qui, au contraire, est susceptible d’affecter leurs droits » De plus, les associations n’ont pas été informées en amont de la publication de ce texte

« Les associations de victimes soussignées tiennent d’abord à exprimer leur désapprobation sur la méthode d’élaboration de ce texte. En pleine période de crise sanitaire, au moment où l’attention des pouvoirs publics devrait se concentrer sur le soutien à apporter aux plus fragiles, le Gouvernement publie un texte qui ne présente aucun caractère d’urgence et qui, au contraire, est susceptible d’affecter leurs droits.

Au surplus, les associations soussignées n’ont pas été informées, et encore moins interrogées ou concertées en amont de la publication de ce texte.

Sur le fond, les associations rappellent leur attachement à la prise en compte individualisée de la situation de chaque victime.

Elles réaffirment leur opposition absolue à tout barème d’indemnisation, y compris sous la forme édulcorée d’un référentiel, qui figera à terme l’évolution nécessaire des réparations accordées aux victimes et empêchera l’individualisation de ces réparations.

Les associations rappellent par ailleurs leur attachement à une diffusion loyale et exhaustive de la jurisprudence rendue par les tribunaux, et à l’accessibilité gratuite à cette jurisprudence.

Elles rappellent leur disponibilité pour réfléchir à l’élaboration d’une base de données sincère et complète, y compris sous forme numérique, à condition que cette base de données jurisprudentielle reste accessible à tous et ne donne jamais lieu à l’élaboration d’un référentiel barémique.

Les associations demandent à être informées loyalement et en amont de toute initiative, y compris technique, destinée à mettre en œuvre une telle base de données. »

 

Question à l’Assemblée nationale :

D’autre part, une question a été posée à l’assemblée nationale le 14 avril 2020 dont la réponse a été donnée le 26 mai 2020 :

« Mme Claire O'Petit attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'inquiétude des professionnels de la justice suite à l'entrée en vigueur du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust », durant la période d'urgence sanitaire.

En utilisant une méthode inductive, ce référentiel peut ne pas être conforme au principe de la réparation en matière de responsabilité civile selon lequel il convient de « rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit » selon la Cour de cassation. Outre la cause de la publication de ce décret en période d'urgence sanitaire, elle souhaite qu'elle l'éclaire sur les raisons objectives de l'élaboration de ce référentiel.

Réponse de Mme Beloubet :

Il convient de rassurer les professionnels de la justice sur la teneur de ce décret, dont la parution durant la période d'urgence sanitaire tient au calendrier d'examen du texte par le Conseil d'Etat. Cette parution est donc sans lien avec la crise actuelle, s'agissant d'un projet sur lequel le ministère de la justice a au demeurant communiqué largement depuis son lancement. Le décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel "DataJust" vise, ainsi qu'il est souligné, à évaluer la possibilité d'élaborer un référentiel indicatif d'indemnisation des chefs de préjudices corporels extra-patrimoniaux, tels que les souffrances endurées ou le préjudice esthétique. La création d'un tel référentiel est en effet envisagée dans l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, qui a fait l'objet d'une consultation publique et qui est appelé à être débattu au Parlement. Il s'agirait d'un référentiel purement indicatif et qui aurait vocation à être réévalué régulièrement. Il répond à l'absence, pour l'heure, d'outil officiel, gratuit et fiable à disposition des publics concernés (victimes, assureurs, fonds d'indemnisation, avocats, magistrats). Il faut rappeler que divers référentiels "officieux" sont aujourd'hui utilisés par les praticiens. Ce projet novateur repose sur une méthode inductive, puisqu'il propose de partir de l'observation fine des trois dernières années de jurisprudence des cours administratives et judiciaires et de recourir, pour ce faire, aux technologies d'intelligence artificielle, en collaboration avec des magistrats. Loin de remplacer les professionnels du droit par des algorithmes, ce référentiel indicatif vise à mieux les informer, ainsi que les victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation à laquelle ces victimes sont susceptibles d'obtenir devant les juridictions - à l'instar du référentiel inter-cours ou des bases de données de jurisprudence actuellement utilisées par les praticiens. Mais cette indemnisation restera intégrale, j'insiste sur ce point. Loin de figer les indemnisations, ce projet vise in fine à permettre une plus juste indemnisation des victimes dans le respect total de l'indépendance du juge. Le décret du 27 mars dernier est enfin très circonscrit, puisqu'il encadre uniquement le développement informatique de l'algorithme destiné à créer ce référentiel indicatif pour une période de temps limitée à deux années. Cette étape doit permettre au ministère de la justice d'évaluer la faisabilité technique du projet. Si les travaux à mener s'avèrent concluants, un second décret viendra ensuite encadrer la mise à disposition au public, en conformité avec les règles prévues pour la mise œuvre de l'open data des décisions de justice. Une consultation aura alors de nouveau lieu sur ce second projet de décret.

Procédure :

Le Conseil d’État est saisi« en raison des risques qu’il (le décret)recèle sur l’instauration d’un barème en matière de réparation des préjudices corporels et de création d’un fichier comportant des données personnelles hors le cadre du RGPD »Les avocats qui ont attaqué le décret ont exprimé leurs doutes sur sa légalité et dénoncé sa non –conformité aux règlements européens.

 Mais le 26 mai 2020, le Conseil d’État a refusé de suspendre l’application du décret DATAJUST. Il a jugé qu’en raison du caractère expérimental du projet, il ne porte pas atteinte grave et immédiate aux intérêts de victimes de dommages corporels et à leurs avocats.

Extrait de la décision :

« Toutefois, l'autorisation mentionnée au point 3 ci-dessus est donnée pour une durée de deux ans seulement, au cours de laquelle, en vertu de l'article 3 du décret contesté, seuls auront accès aux données à caractère personnel et aux informations enregistrées dans le traitement, " à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître ", les agents du ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice individuellement désignés par le secrétaire général et les agents du bureau du droit des obligations individuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau. Il résulte de l'instruction que cette équipe dédiée ne représentera pas plus d'une vingtaine de personnes. L'article 4 du décret contesté précise que la durée de conservation des données sera limitée à la durée nécessaire au développement de l'algorithme et qu'elle ne pourra, en tout état de cause, excéder deux ans à compter de la date de publication du décret.

6. Dans ces conditions, le décret contesté, qui a pour seul objet de permettre, à des fins expérimentales, le développement d'un algorithme dont il n'a pas pour effet d'autoriser la mise en œuvre, n'est pas de nature à porter aux intérêts des justiciables recherchant devant les juridictions administratives ou civiles l'indemnisation d'un préjudice corporel, ni aux intérêts des avocats qui les défendent, une atteinte grave et immédiate justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de ce décret soit suspendue. Si, enfin, les requérants soutiennent que l'urgence est caractérisée en raison de la violation, par l'arrêté attaqué, des dispositions du règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, une telle méconnaissance du droit de l'Union européenne, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même, la suspension d'un acte administratif.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'urgence, les conclusions tendant à la suspension de l'exécution du décret du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " DataJust " doivent être rejetées. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner si les moyens invoqués sont propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ce décret. »

Néanmoins, l’arrêt du Conseil d’État ne clôt pas le débat car il ne refuse de se positionner  que sur le motif du caractère expérimental et sur l’absence de mise en œuvre effective de l’algorithme. Cette décision ne tranche donc aucunement la mise en application d’un algorithme, question qui reste en suspens.

Sources:

Légifrance

entrepreneur-interet-general.etalab.gouv.fr

assemblee-nationale.fr

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