Notre cabinet obtient le dessaisissement d’un expert sur lequel pèse un doute légitime
Lors d’une procédure en indemnisation du dommage corporel, votre avocat va se battre pour obtenir la meilleure réparation possible de votre préjudice.
Souvent, pour évaluer ce préjudice, lors d’un procès, un expert médical attaché à une Cour d’appel va être désigné pour évaluer les séquelles après l’accident ou l’agression.
Cette expertise, si elle ne lie pas le juge, lui permet néanmoins de s’appuyer sur des données objectives pour évaluer le préjudice corporel de la victime. Ce rapport joue donc un rôle crucial pour obtenir la plus juste indemnisation.
Le 24 novembre 2009, un jeune homme de 17 ans est victime d’un accident de la circulation alors qu’il conduisait un cyclomoteur.
Le juge des référés ordonne une expertise médicale. L’expert rend son rapport le 17 avril 2012 et conclut à l’absence de consolidation, proposant une première orientation médico-légale. Il indique que la nécessité d’une tierce personne ainsi que les répercussions sur les activités professionnelles seront à réévaluer à la consolidation, en tenant compte du bilan réalisé par l’UEROS.
La victime, par acte des 2 et 3 mars 2015, assigne en référé la responsable de l’accident et son assureur aux fins de voir désigner ce même expert afin qu’il clôture sa mission.
Le juge accorde cette demande et donne un délai de 9 mois à l’expert pour la clôturer.
Le 16 février 2016, notre cabinet sollicite auprès du juge chargé du contrôle des expertises le remplacement de l’expert, eut égard au fait qu’il a appris qu'il n’était pas inscrit sur la liste de la cour d’appel en qualité d’expert et remettant en cause sa neutralité : l’expert n'avait pas prêté serment et il s'est révélé par ailleurs, qu'il était médecin conseil de compagnies d’assurances, dont celle de l’adversaire de la victime dans cette procédure.
Par ordonnance du 29 mars 2016, le juge chargé du contrôle des expertises au TGI de Pau rejette la demande de changement d’expert. Le client fait appel de cette décision afin de la voir infirmer et ordonner un changement d’expert.
Par arrêt de la 1ère Chambre de la Cour d’Appel de Pau du 7 septembre 2016 , l’expert est dessaisi de cette mission :
« Que toutefois, et alors que M.X a été victime de son accident le 24 novembre 2009 , on ne sait toujours pas à ce jour , si son état est consolidé ou pas, alors que les séquelles de son traumatisme crânien qualifiées de graves et de "handicap invisible" décelées dès le 6 juillet 2010 (CHU de Pau - service de neurologie) et en juin 2012 (CHU Bordeaux, service d'ergothérapie et celui de neurologie) révèlent : impact sur la mémoire du travail, lenteur idélatoire qui ralentit l'accès au lexique et l'initiation d'activités (notamment , la prise de décision - a besoin d’être questionné pour produire), anxieux, inquiet, en grande souffrance par rapport à la réalité de la vie, humeur fluctuante, irritabilité, perturbation de l'apprentissage , des fonctions exécutives (mémoire du travail particulièrement déficitaire), altération des capacités d'organisation, etc... :
Que les investigations les plus récentes, notamment le bilan neuropsychologique effectué le 20 février 2014..,révèle que les séquelles déjà constatées paraissent identiques à celles relevées dès 2010, s'agissant en outre, d'un traumatisé crânien ( grave) dont les séquelles sont classiques et communément connues, de sorte qu'il est permis légitimement de douter de l'intérêt et de l'opportunité du recours à un sapiteur psychiatre en 2016 pour faire examiner M. X à nouveau , soit une année après seulement le dernier rapport qui est conforme au précédent de 2012, mais surtout une année après la désignation de cet expert, précisément à la date que lui avait impartie le juge des référés pour clôturer et déposer son rapport ;
Or attendu que le temps que l'expert ne déterminera pas sa date de consolidation, M. X ne sera pas indemnisé de ses préjudices de sorte que la manière dont cet expert mène ses opérations lui cause donc un grief certain dès lors que l'accident remonte à 2009, sans qu'il puisse par ailleurs, être reproché à M. X de ne pas produire des pièces (ex : rapport U.E.R.O.S. daté des 20 et 26 juin invoqué par le médecin expert qui date de 2012) que l'expert possède déjà, ou d'autres pièces que ce dernier demande qu'il aurait pu se procurer auprès des professionnels dans le cadre de sa mission, ou que M. X ne possède pas ;
Attendu enfin, qu'il s'est avéré que cet expert non assermenté, est médecin conseil pour des compagnies d'assurances, dont notamment la compagnie Y, adversaire de M. X, et ce, sans que cet expert désigné n'en fasse état dès sa première désignation auprès du juge en se récusant ;
Attendu qu'il s'évince de l'ensemble de ce qui précède, que s'il appartient au juge du fond de se prononcer sur la nullité des opérations d'expertise si elle était éventuellement soulevée, il convient, en l'état de l'appel d'une ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise, de l'infirmer et de faire droit à la demande de dessaisissement de cet expert eu égard au doute légitime de neutralité qui peut être porté sur cet expert non assermenté dont la façon d'opérer retarde l'indemnisation de M. X par la Y, adversaire du demandeur, mais encore, pour qui ce technicien a travaillé en qualité de médecin conseil, ainsi que plus généralement, sur les qualités professionnelles et déontologiques requises de tout expert pour mener à bien sa mission, et qui sont précisément appréciées lors d'une demande d'inscription d'un professionnel sur la liste des experts. »
La Cour ordonne le dessaisissement de l’expert missionné.
Note :
Il nous paraît intéressant de publier cet arrêt qui constitue une référence majeure au regard de la confiance en l’impartialité que les victimes sont en droit d’avoir :
a- Il est très difficile de contester la légitimité d’un expert habituellement désigné par les tribunaux : la décision que nous avons obtenue constitue une grande avancée jurisprudentielle.
b- Il est intéressant de noter que la Cour d’appel qui a estimé nécessaire le remplacement de l’expert a infirmé la décision de 1ère instance, qui elle, était favorable à son maintien : ceci démontre la fragilité des critères de décision et l’instabilité du processus menant au jugement.
c- La décision de la Cour d’appel prend soin d’indiquer de quelle manière l'expertise a été retardée de manière illégitime et de pointer un conflit d’intérêt révélé par la double casquette fréquente de l’expert.