Lundi 27 février 2017, un accord a été signé pour indemniser par voie amiable les victimes de l’incendie du bar le « Cuba libre » de leur préjudice d’angoisse. Survenu dans la nuit du 5 au 6 août 2016, alors qu’elles célébraient un anniversaire, les personnes présentes dans le bar cette nuit-là ce sont retrouvées prisonnières des flammes : 14 sont décédées et 6 autres ont été blessées.
Le communiqué de presse de la Secrétaire d’État à l’aide aux Victimes, Mme Juliette Méadel, indique « Afin de tenir compte des circonstances particulièrement dramatiques de ce drame, les offres d’indemnisation devront intégrer l’angoisse de mort imminente, au titre du préjudice permanent exceptionnel ».
Le préjudice d’angoisse avait déjà été indemnisé dans le cadre amiable dans le cas de l’accident de car de Puisseguin qui avait fait 43 morts le 23 octobre 2015. Les victimes directes avaient perçu 40 000 € en réparation de ce préjudice.
Le préjudice d’angoisse est sujet à controverse. Il n’est pas facilement retenu par les juges.
En effet, au regard du principe de la réparation intégrale , les juges veillent à ne pas indemniser 2 fois la victime d’un même préjudice: ils incluent alors souvent le préjudice d’angoisse au préjudice moral inclus dans le poste de préjudice souffrances endurées ou encore dans le Déficit fonctionnel permanent(DFP). En témoigne un arrêt récent de la Cour de cassation du 2 février 2017 n° 16-11.411 qui refuse d’indemniser séparément ce poste de préjudice qu’elle le considère inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées : « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l'arrêt de préjudice d'angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément »
Le préjudice d’angoisse a également été reconnu sous forme de « préjudice d’anxiété » ou dans le « préjudice spécifique de contamination », pour réparer la prise de conscience du risque de développer une maladie mortelle suite à l’exposition à une substance dangereuse et la crainte associée d'en mourir (amiante, distilbène, porteurs de sondes cardiaques, contamination VIH, transfusion Hépatite C, hormone de croissance).
Toutefois, le préjudice d'angoisse a été indemnisé indépendamment en cas de grandes catastrophes, au titre d' un poste de préjudice extra-patrimonial permanent par exemple dans l’affaire du Quenn Mary II(2003), la catastrophe d’Allinges (2008) ou l’affaire du crash de Yemenia Airways (2009). « La nouvelle nomenclature permet de reconnaître des préjudices extrapatrimoniaux permanents qui prennent une résonnance particulière soit en raison de la nature des victimes, soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage, ou des trois, comme en l’espèce. » CA Rennes 2 juillet 2009-Affaire du Queen Mary.
Il s'agissait d'indemniser un état d’affolement, de détresse ou de panique avec la conscience et la certitude de vivre ses derniers instants, sentiment partagé avec des proches, la famille ou une même communauté. Il s'agissait également d'indemniser des conditions d’attentes des secours dans des circonstances particulièrement dramatiques (au milieu de sang, d'amoncellement de corps…) ainsi que de tenir compte de l’inquiétude vécue quant au sort des parents, l’impossibilité d’assister ensuite aux obsèques ou d’être présent auprès de ses proches pour apporter de l’aide.
Note:
Il apparaît nécessaire de maintenir une distinction entre le préjudice d’angoisse et d’autres postes de préjudices, qu’il s’agisse de souffrances morales ou même du déficit fonctionnel permanent(DFP).
Tout d’abord, le préjudice d’angoisse est une souffrance continue et psychiquement orientée vers le futur et l’aléa qu’il représente. La souffrance morale, quant à elle, est figée par l’évènement passé. Les états de sidération qu’ils peuvent provoquer diffèrent par leurs mécanismes, par leurs conséquences mais aussi parce que les premiers sont générés par le poids du passé et les autres par la crainte du futur.
La notion de souffrance morale s’inscrit donc dans un axe du temps qui se conjugue à l’imparfait alors que le préjudice d’angoisse se vit au présent de l’aléa anxiogène et anticipe un futur redouté.
Il en découle que la souffrance morale s’est souvent arrêtée sur l’évènement causal alors que le préjudice d’angoisse est souvent évolutif.
La souffrance morale ne paralyse le futur que par l’effet de sidération, le préjudice d’angoisse le dénie par la crainte de ce qu’il incarne.
La souffrance morale est assise sur un évènement reconnu, le préjudice d’angoisse se projette par rapport à tous les évènements possibles et inconnus.
Le confondre au Déficit fonctionnel permanent en l’y intégrant c'est évidemment l’anéantir dans sa spécificité et donc ne pas le reconnaître en privant ainsi une victime de la reconnaissance d’une réalité vécue.
Ceci serait d’autant plus grave que, par l’effet de sidération qu’il engendre, il rajoute au DFP existant une réelle incapacité à faire et donc une modification du taux de DFP.