Un père de famille, âgé de 65 ans, subit une intervention chirurgicale le 15 février 2017 au cours de laquelle il présente un arrêt cardio-respiratoire qui provoque une anoxie cérébrale d’une dizaine de minutes, à l’origine de troubles neurologiques très importants.
Le 18 avril 2017, le patient est transféré, à titre temporaire, dans l’attente d’une place disponible dans un établissement prenant en charge des patients en état végétatif ou pauci-relationnel au sein du service de réanimation-soins continus d’un établissement hospitalier.
Les 6 et 7 juin 2017, une évaluation clinique et neurophysiologique de l’état de la victime est effectuée dans le service de rééducation post réanimation d’un autre hôpital. Selon cette évaluation, " la probabilité d’une évolution péjorative vers un état végétatif permanent est quasi certaine". Le docteur responsable du service de réanimation-soins continus de ce centre hospitalier informe alors la famille du patient de la décision, prise à l’issue d’une procédure collégiale le 12 juin 2017, d’interrompre les traitements, c’est-à-dire la nutrition et l’hydratation artificielles, à compter du 16 juin.
Trois des quatre enfants du patient saisissent, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’une demande de suspension de l’exécution de la décision médicale d’arrêter les traitements.
Par une ordonnance du 26 juin 2017, le juge, statuant collégialement, rejette cette demande. Les enfants interjettent appel. Ils demandent l’annulation de l’ordonnance précitée, la suspension de la décision d’arrêt des soins et le maintien du traitement. Subsidiairement ils enjoignent d’ordonner une mesure d’expertise et le maintien de leur père dans le 1er établissement hospitalier dans l’attente d’une place en établissement spécialisé.
Ils soutiennent notamment que, contrairement à ce qui a été retenu lors de l’évaluation de l’état du patient réalisée les 6 et 7 juin 2017, la victime manifeste des réactions comportementales et émotionnelles en présence de ses proches, telles que des signes de déglutition, des interactions avec son environnement et une poursuite visuelle, qui suggèrent un état plutôt pauci-relationnel ou état de conscience minimale plutôt qu’un état végétatif .Ils soutiennent également que les conditions médicales permettant un arrêt des traitements ne sont pas réunies dès lors que ces traitements ne sont ni inutiles, ni disproportionnés par rapport à l’état de santé du patient et n’ont pas pour objet de le maintenir artificiellement en vie. En ce sens la poursuite de ces traitements n’est pas constitutive d’une obstination déraisonnable.
Le Conseil d’Etat, par ordonnance de référé du 17 juillet 2017 n°412267 autorise la suspension de l’arrêt des soins et ordonne une nouvelle expertise médicale, sous réserve qu’un transfert, envisagé lors de l’audience, du patient dans un service destiné à la prise en charge de patients en état végétatif ou pauci-relationnel d’un autre établissement ne rende caduque la décision litigieuse d’arrêt des traitements prise par le docteur :
« 13. Il résulte également de l’instruction, notamment des échanges en séance devant le juge des référés du Conseil d’Etat, que la famille de M. F...qui avait exprimé à plusieurs reprises son hostilité à l’arrêt des traitements a été informée des motifs de la décision d’arrêt des traitements par l’équipe médicale du centre hospitalier de Roanne en charge du patient, sans avoir été consultée préalablement. Elle n’a pas non plus été entendue par l’équipe médicale qui a procédé à l’évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience dont les résultats ont exercé une influence importante, sinon déterminante, sur la décision d’arrêt des traitements. La famille du patient n’a pas reçu de cette équipe médicale d’explications sur l’interprétation scientifique des réactions du patient à certains stimuli que M. J...F...dit avoir observées et qui lui apparaissent comme des manifestations de conscience(…). Les relations entre la famille du patient et les équipes médicales du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, qui ont respectivement pratiqué l’intervention chirurgicale, pris en charge le patient dans le service de réanimation et envisagé un arrêt des traitements, sont apparues fortement dégradées. Dans ce contexte conflictuel s’est installé un climat de défiance qui n’a pas disparu lorsque le patient a été transféré, précisément en raison des relations tendues entre les équipes médicales du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la famille du patient, dans un service du centre hospitalier de Roanne, au demeurant normalement pas adapté à la prise en charge d’un patient dans un état végétatif durable.
14. (…), l’appréciation sur le point de savoir si la poursuite des traitements traduit une obstination déraisonnable doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, dont la situation doit être appréhendée dans sa singularité. Une importance toute particulière doit être donnée, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et que celle-ci demeure inconnue faute de directives anticipées ou d’indications données de son vivant, aux avis émis par la famille qui doit alors être placée en situation de comprendre, au regard de ses propres perceptions et interprétations à cet égard, dans quel état se trouve réellement le patient et quelles sont les perspectives d’évolution de cet état.
15. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, avant qu’il ne soit statué sur la présente requête et sous réserve qu’un transfert, envisagé lors de l’audience, du patient dans un service destiné à la prise en charge de patients en état végétatif ou pauci-relationnel d’un autre établissement ne rende caduque la décision litigieuse d’arrêt des traitements prise par le docteur E..., il convient d’ordonner une mesure d’instruction consistant en une nouvelle évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience, telle que celle effectuée les 6 et 7 juin 2017, à l’effet non seulement de confirmer ou infirmer à l’issue de la nouvelle période de temps écoulée les résultats de celle-ci, et d’affiner si possible le pronostic d’évolution de l’état du patient, mais aussi d’entendre la famille à l’issue des examens et de répondre à ces interrogations sur l’interprétation que l’on peut donner, au vu des résultats de l’évaluation, des réactions du patient à des stimuli qu’elle a constatées(…)
16. L’exécution de la décision d’arrêt des traitements litigieuse est suspendue jusqu’à ce que le juge d’appel, le cas échéant après renvoi de l’affaire dans une autre formation de jugement dans les conditions de droit commun, se soit prononcé, une fois la mesure d’instruction énoncée au point 15 effectuée. Les autres conclusions en demande et en défense sont réservées. »