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15 juin 2015
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« Mitigation »

Arrêt de la Cour de Cassation du 15 janvier 2015, n° 13-21180, 1ère chambre civile.

Un patient, professionnel de santé, ayant subi 2 interventions chirurgicales de la prostate, refuse un traitement antibiotique et quitte l’hôpital 5 jours plus tard contre l’avis des médecins, malgré de fortes fièvres, car il est persuadé d’avoir contracté une hépatite et préfère se tourner vers une médecine plus douce (homéopathie). Un mois plus tard, il est hospitalisé en urgence et on lui diagnostique une septicémie par streptocoque ayant altéré plusieurs organes internes et l’épaule rendant nécessaires de nouveaux traitements.

Sur le fondement de l’article L1142-1 du code de la santé publique, le patient assigne l’établissement en réparation de l’ensemble des dommages résultant de l’infection liée à l’opération invoquant une infection nosocomiale (incluant donc celles consécutives aux séquelles de l’infection nosocomiale). La clinique, pour sa part, invoque la limitation de sa responsabilité : elle estime que s' il avait suivi le protocole du traitement de l’infection nosocomiale, les préjudices secondaires ne seraient pas apparus. Elle estime qu’elle n’est pas responsable et n’a pas à indemniser les conséquences du refus de se soigner du patient.

La cour d’appel de Bordeaux était allée dans le sens de l’établissement de santé et avait décidé que les complications qu’il subissait étaient la conséquence de son refus, pendant plus d’un mois de suivre un traitement qui n’avait pas un caractère « lourd « ou « pénible » et qu’il ne pouvait donc prétendre qu’à l’indemnisation du préjudice résultant de l’infection nosocomiale si elle avait été traitée normalement dans les suites de l’intervention.

Mais la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2015 casse cet arrêt et estime qu’ « en imputant l’aggravation de l’état de santé de Mr.X au refus des traitements proposés, alors que ceux-ci n’avaient été rendus nécessaires que parce qu’il avait contracté une infection nosocomiale engageant la responsabilité de la clinique, la cour d’appel a violé les textes » : art16-3 du code civil, l’art L1142-1 et L1111-4 du code de la santé publique.

La question qui se pose dans cet arrêt est de savoir si une victime qui a contracté une infection nosocomiale dans un établissement de santé peut se voir imposer une diminution de son indemnisation au motif qu’elle a refusé de suivre des traitements destinés à éviter l’aggravation de son état.

Selon la décision de la Cour de cassation, la victime n’a pas à réduire son dommage :

on ne peut lui reprocher une aggravation consécutive à ses choix, elle sera indemnisée de l’intégralité de ses préjudices par la clinique qui est entièrement responsable.

Remarque :

Cette jurisprudence est très favorable au droit à la réparation intégrale des victimes de dommages corporels. Il s’agit d’une jurisprudence constante en droit français : un arrêt de la Cour de cassation, 2eme civile, du 19 mars 1997 avait déjà décidé, qu’au visa de l’article 16-3 du code civil, que la victime d’un dommage n’avait pas à se soumettre à une intervention susceptible d’améliorer son état. Le 19 juin 2003, dans une autre affaire elle rappelle que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice et un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 3 mai 2006 reconnaît également que le refus de la victime de suivre un traitement pour éviter/limiter une aggravation n’a pas d’incidence sur son droit à la réparation intégrale.

Si cette décision fait triompher la liberté du choix du patient avant tout, la doctrine s’interroge pour savoir si les conséquences dommageables de l’infection nosocomiales sont imputables à la clinique ou bien au choix personnel du patient.

Certains auteurs veulent voir appliqué le concept de « mitigation of damage » inspiré de la « Common Law » : il impose l’obligation pour la victime de dommage, de réduire ou d’empêcher l’aggravation. Son action ou inaction augmente le dommage initial subi, rompant son lien de causalité avec le fait générateur et fait alors peser la responsabilité de ses choix sur la victime. La conséquence est la perte de son droit à indemnisation dans la limite de « sa faute ».Par ailleurs, les établissements de santé peuvent s’exonérer de leur responsabilité s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère à la réalisation du dommage, et certains auraient préféré que le comportement du malade soit assimilé à cette cause étrangère.

Certaines décisions avaient en ce sens débouté des patients qui n’avaient pas suivi les consignes et les traitements qui leur avaient été prescrits : une patiente n’ayant pas porté la genouillère ni utilisé la canne recommandée par le chirurgien et qui a pratiqué un sport s’est vue déboutée de son action en réparation contre ce dernier (cass 1ere civile 26 octobre 2004). Aussi, la cour administrative d’appel de Nancy, le 13 juin 2013, a reconnu pour partie la responsabilité d’une patiente de son état d’aggravation car elle n’avait pas respecté les consignes d’immobilisation du médecin suite à son opération.

Plus largement, la jurisprudence écarte parfois le droit à réparation de la victime quand les chefs de préjudice ne résultent pas directement du dommage mais plutôt du choix du patient. Ainsi un arrêt de la 2eme chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin 2013 n’a pas retenu l’indemnisation pour le proche de la victime qui a limité ou arrêté son activité professionnelle pour s’occuper de son compagnon, sans que le besoin d’une tierce personne n’ait été caractérisé. La 3eme chambre civile a dans une décision du 12 février 2015, également débouté la demande d’une victime qui sollicitait une indemnisation pour l’installation du chauffage central car elle avait perdu son bras droit et prétendait ne plus pouvoir alimenter sa cheminée en bois : la cour a considéré qu’il s’agissait d’un choix personnel et non « d’une modification rendue nécessaire pour surmonter le handicap ».

Toutefois, les circonstances de l’arrêt du 15 janvier 2015 diffèrent quelque peu des arrêts précités, défavorables à l’indemnisation des victimes car en l’espèce, le refus de soin était tout de même consécutif à une infection nosocomiale dont l’établissement était normalement entièrement responsable.

Au vu de la tendance à vouloir introduire la notion de « mitigation of damages »,nous pouvons nous réjouir de la résistance du droit français qui préserve encore la liberté individuelle du patient d’avoir le choix de suivre des traitements ou non ; sans conséquence sur son droit à indemnisation lorsqu’il n’est, de fait, pas responsable du dommage initial.

Lire l'arrêt: Légifrance

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