Le 17 août 2009, un jeune homme de 16 ans est victime d'un accident de la circulation. Au guidon de son vélo et tracté par un scooter, il se fait percuter par le conducteur d’un véhicule automobile qui arrive en sens inverse.
Les témoins de l'accident attestent que le scooter et la bicyclette circulaient sans éclairage.
A la suite de l'accident et selon le certificat médical initial, le jeune homme présente diverses fractures, un hématome et un traumatisme crânien modéré.
Le 24 août 2009, la victime est transférée en centre de rééducation où elle résidera pendant 7 mois pour ensuite poursuivre sa rééducation en hospitalisation de jour et regagner son domicile.
Par ordonnance du 1er mars 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris condamne le conducteur responsable du dommage , ainsi que sa compagnie d'assurance, à verser aux parents de la victime une indemnité provisionnelle à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis. Il ordonne une expertise médicale afin d’évaluer l’état de la victime.
Le rapport de l’expert relève des discordances entre les plaintes et les bilans médicaux normaux de la victime.
La compagnie d’assurance missionne alors un cabinet de détective privé afin de « déterminer les activités journalières de […], dire s’il se déplace ou non avec des cannes anglaises, procéder à la prise de clichés photographiques et films vidéos en vue de déterminer s’il présente ou non des troubles de la marche, vérifier s’il pratique du sport et dans quelles conditions, procéder à toutes recherches utiles à la manifestation de la vérité dans cette affaire».
Selon ce rapport :"l’intéressé ne présentait aucune difficulté à la marche et qu’il n’utilisait pas de canne anglaise. Il est relativement alerte et ne montre aucun signe permettant de soupçonner un quelconque handicap vu de l’extérieur.”
Le 19 mars 2012, si le TGI de Paris rappelle que « l’assureur ayant l’obligation d’agir également dans l’intérêt de la collectivité des assurés et, pour ce faire, de vérifier si la demande de réparation de la victime est justifiée, il convient d’apprécier si l’éventuelle atteinte portée à la vie privée des demandeurs du fait des investigations menées par les enquêteurs mandatés par la (..), était proportionnée au regard des intérêts en présence », il refuse les demandes de provisions complémentaires émises par la victime et sa mère. Ces derniers assignent la compagnie d’assurance devant le TGI de Paris pour atteinte illégitime au droit au respect de la vie privée sur le fondement de l’article 9 du code civil et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils contestent les dispositions du rapport d’enquête relatives à la surveillance de l’intérieur de leur domicile, l’observation des personnes rendant visite au domicile de la victime assortie de leur description physique et d’une tentative d’identification ainsi que la filature des déplacements personnels de la mère de la victime.
Le 3 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Paris statue : « les atteintes à la vie privée relevées sont manifestement disproportionnées par rapport au but légitimement poursuivi ».
L’assureur est condamné à verser à titre de dommages et intérêts la somme d’un euros à la victime et à sa mère ainsi qu’une indemnité de 1000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le 24 juin 2015, la cour d’appel de Paris confirme ce jugement en toutes ses dispositions.
L’assureur se pourvoit en cassation et soulève le moyen selon lequel « la cour d’appel, qui a ainsi fait le constat de faits anodins ne pouvant caractériser une telle atteinte, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Par arrêt du 22 septembre 2016 n° 15-24015 la Haute juridiction rejette le pourvoi.
« Mais attendu qu’après avoir décidé, à bon droit, que les opérations de surveillance et de filature menées par les enquêteurs mandatés par l’assureur étaient, par elles-mêmes, de nature à porter atteinte à la vie privée de M. X... et de Mme Y..., la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, énoncé qu’il convenait d’apprécier si une telle atteinte était proportionnée au regard des intérêts en présence, l’assureur ayant l’obligation d’agir dans l’intérêt de la collectivité des assurés et, pour ce faire, de vérifier si la demande en réparation de la victime était fondée ; qu’ayant constaté que les opérations de surveillance avaient concerné l’intérieur du domicile de M. X... et de sa mère, que les enquêteurs avaient procédé à la description physique et à une tentative d’identification des personnes s’y présentant et que les déplacements de Mme Y... avaient été précisément rapportés, elle a pu en déduire que cette immixtion dans leur vie privée excédait les nécessités de l’enquête privée et que, dès lors, les atteintes en résultant étaient disproportionnées au regard du but poursuivi ; que, par ces seuls motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi »
Cette décision confirme la position de la Cour de cassation en date du 25 février 2016 n°15-12.403 qui limite la recevabilité d’un rapport d’enquête privée diligenté par l’assureur au regard du droit au respect de la vie privée. Cette décision est protectrice pour les victimes notamment celles ayant subi un traumatisme crânien, qui souffrent souvent de handicap dit invisible, et pour lesquelles une simple enquête ne peut suffire à révéler l’intégralité de leurs préjudices.